Alzheimer
Au début, on croit qu’il s’agit d’oublis légers, de petits trous de mémoire sans importance. On se dit que ça arrive à tout le monde. Mais avec le temps, l’Alzheimer ne s’arrête pas. Il avance, lentement mais sûrement, grignotant des souvenirs, des gestes simples, des visages aimés.
Aujourd’hui, en 2025, la maladie a beaucoup progressé. Elle ne cherche presque plus rien, si ce n’est du chocolat. Le chocolat est devenu son refuge, son langage, son ancrage au monde. Dans ses yeux, une tablette est plus précieuse qu’un livre, qu’un mot, qu’un souvenir. C’est sa douceur, son petit morceau de bonheur que la maladie n’a pas réussi à lui voler.
Et puis, il reste mon papi. Elle se souvient de lui avec une clarté étonnante, comme si, parmi toutes les images effacées, son souvenir brillait encore. Quand elle parle de lui, son visage s’illumine, ses yeux s’allument d’une lueur qui me rappelle l’avant, l’époque où elle riait, dansait, me racontait ses histoires encore et encore. Lui, elle ne l’oublie pas. C’est son port d’attache dans cet océan d’oubli.
Moi, je la regarde, et parfois elle ne sait plus quel âge j’ai. À ses yeux, je reste sa petite-fille préférée de 15 ans, insouciante, rieuse, celle qu’elle aimait regarder danser et qu’elle conseillait comme si l’avenir s’ouvrait encore tout grand devant elle. Dans son regard, je suis figée dans ce temps-là, préservée de la vie d’adulte, de mes voyages, de mes choix, de mes combats. Et d’une certaine façon, c’est une douceur aussi : celle de redevenir son enfant, même quand les années ont passé. Elle me dit « je t’aime » d’une voix fragile, souvent comme à une étrangère, mais je sais que dans son cœur, il reste une place pour moi, même si ses mots ne savent plus le dire. Je souris, je réponds, je l’écoute, même si nos conversations sont devenues de simples fragments : un souvenir d’enfance qui se répète, une histoire qui recommence toujours au même point, des phrases qui s’égarent dans le silence.
Je connais son dialogue par cœur, le 11e, Paris, Maroc, notre enfance dans le parc des Buttes de Chaumont ... Comme si la maladie écrivait pour elle une pièce de théâtre sans fin. J’essaie d’avoir de la patience, de ne pas me briser en l’entendant répéter les mêmes choses, mille fois, chaque jour. J’essaie surtout de ne pas oublier qu’avant la maladie, il y avait elle : ma confidente, mon soutien, ma conseillère, mon éclat de rire.
Maintenant, elle rit encore, parfois comme une enfant de six ans, gourmande et adorable. Elle lève la tête vers le ciel, hoche doucement la tête, sourit sans comprendre toute la conversation. Son monde est devenu simple, presque réduit à quelques couleurs, quelques saveurs, quelques éclats de lumière. Mais il est encore rempli d’amour.
L’Alzheimer efface, mais il ne détruit pas tout. Il reste ses gestes tendres, ses sourires sincères, son besoin de chocolat et son amour pour mon papi. Il reste mes bras, ma patience, mes visites où je tente de lui offrir un peu de stabilité dans ce monde qui lui échappe.
Le plus dur n’est pas seulement de voir disparaître ses souvenirs. Le plus dur est d’accepter que la femme que je connaissais, celle avec qui je partageais des heures entières, n’est plus tout à fait la même. Accepter qu’elle ne se promènera plus dans ses rues préférées, qu’elle ne trempera plus ses churros dans le chocolat chaud en me disant « une fois par semaine, ça ne fait pas de mal », alors qu’elle cachait des dizaines de tablettes dans ses placards. Accepter que nos voyages ensemble ne reviendront plus.
Mais malgré la douleur, je choisis de rester. Je choisis de l’aimer encore, autrement, dans ce présent fragile qu’il nous reste. Je choisis de lui offrir mes sourires, mes mots, mes gestes, même quand elle ne les reconnaît plus. Parce que si elle vit désormais ailleurs, dans une autre époque, moi je peux toujours l’accompagner dans ce voyage.
Je veux que ses derniers jours soient remplis de douceur, de rires, de chocolat et de tendresse. Je veux qu’elle sache, même sans vraiment le comprendre, qu’elle a été et qu’elle reste l’un des piliers de ma vie.
Parce qu’au fond, c’est tout ce qui compte.
Disiz- Qu´ils ont de la chance
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